L’art juif : de la connaissance à la reconnaissance

A la fin du 18e siècle, des musées voient le jour en France pour présenter au grand public les œuvres des collections royales et de la noblesse. Les historiens, pour présenter les collections, vont classer les objets selon leur provenance.

Au 19e siècle, en France, Isaac Strauss, connu pour sa collection d’objets d’art religieux hébraïques, va inspirer de nombreux collectionneurs à travers l’Europe. Leurs collections donneront naissance aux premiers musées d’art juif en Europe.

En 1853, une nouvelle salle est inaugurée au musée du Louvre. Appelée galerie judaïque, elle regroupe des pièces archéologiques rapportées par Félix de Saulcy. En 1890, la baronne Nathaniel de Rothschild rachète la collection de Isaac Strauss et la dépose au Musée de Cluny. En 1893, la première chaire d’histoire de l’art ouvre à la Sorbonne. On ne parle pas encore d’art juif.

Toujours au 19e siècle, en Europe, les avis divergent quant à l’existence d’un art juif. D’éminents historiens non juifs et juifs vont nier l’existence d’un art juif en se basant sur le second commandement qui met en garde contre les images taillées, la ronde bosse :
…Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point… Exode 20 ; 4-5.

Au 20e siècle, les réactions sont variées, les avis divergent. Pour n’en citer que quelques-uns : en 1902, l’archéologue J. Benzinger écrit que les hébreux ont un sens déficient de la couleur et que le peuple manque d’inclination artistique. A côté de cela, en 1903, Vladimir Stassov et David Guenzburg publient L’ornement hébreu. Vladimir Stassov soutient la thèse de Félix de Saulcy sur la continuité de l’art juif. En 1906, Boris Schatz crée, à Jérusalem, l’Ecole de Betsalel, la première école d’arts appliqués depuis la dispersion du peuple juif. Son but est de rassembler les étincelles d’art juif dans le pays et dans le monde, où elles furent éparpillées durant deux millénaires.
L’incroyable découverte des fresques de la synagogue de Doura Europos, en Syrie, en 1932, va pousser certains historiens à reconsidérer les idées préétablies quant à l’inexistence d’un art juif. Cependant, en 1938, l’historien américain Bernard Berenson soutient que Les juifs comme leurs cousins ismaéliens les arabes et en fait peut être comme tous les sémites de pure souche ont fait preuve de peu de talent pour les arts visuels et qu’ils n’en ont montré aucun dans les arts figuratifs. En 1948, la création de l’état d’Israël va encourager les fouilles archéologiques et mettre au jour des vestiges de l’époque antique mais elle va également permettre la connaissance et la reconnaissance des cultures des communautés de diaspora et de leur production artistique. En 1950, au musée du Louvre, la salle judaïque regroupant les pièces archéologiques ramenées par Felix de Saulcy est fermée. En 1957, Cecil Roth définit l’art juif comme la production artistique de personnes de religion juive ou d’origine juive ou ayant été influencé de quelque manière que ce soit … Le musée d’Israël ouvre ses portes en 1965. En 1966, le critique d’art Harold Rosenberg conclut à l’inexistence d’un art juif.

Pourtant divers ouvrages continuent de paraître sur l’art juif jusqu’à la publication en 1995 du livre de Gabrielle Sed-Rajna, L’art juif publié aux Editions Citadelles Mazenod. Dans son introduction elle écrit :

Cent ans de fouilles archéologiques, jalonnées de découvertes inattendues, parfois étonnantes – que l’on songe aux mosaïques des synagogues galiléennes ou aux peintures murales de la synagogue de Doura Europos -, cinquante ans de recherches foisonnantes, menées par des spécialistes éminents, ont mis au jour – au sens propre comme au sens figuré – une telle richesse d’œuvres, qu’une attitude condescendante qui considèrerait tous ces monuments comme de simples reflets des grands courants artistiques ou comme des produits de circonstance d’un artisanat populaire n’est plus de mise.